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Bonjour et bienvenue sur ce blog un brin paradoxal puisque je souhaite vous y présenter mes textes, issus le plus souvent d’un travail introspectif, d’où le titre du blog Intro’versions, et ce sur la « blogosphère » et Internet, donc par le biais d’un média tourné vers l’extérieur. Mais ce blog, première expérience pour moi, donc une Introduction, présentera aussi d’autres rubriques que mes textes, celle « Point de vue sur » par exemple, et sera ainsi aussi tourné vers l’extérieur – d’où le pluriel utilisé pour versions. Voilà pour la petite explication du titre ! J’espère rencontrer par cet intermédiaire qu’est Intro’versions d’autres lecteurs que ceux du cercle privé (famille et amis), et, pourquoi pas, recueillir vos impressions et critiques à l’égard de ces textes (rubrique commentaires). Je tâcherai de répondre quand cela s’avérera utile. Merci d’avance de votre curiosité et bonne découverte !

Les hyènes.

 

Le chien nous protégera contre le ricanement des hyènes.

Malgré la chaleur écrasante et l’absence tenace d’ombre. Papa et maman y veillent.

Ils le chérissent parfois plus que moi. Papa surtout aime à lui flatter le flan ou le museau.  Il nous faut encore marcher. Je n’en peux plus. De cette chaleur, de cette soif. Et lui qui coure dans mes jambes ! Il manque de me faire tomber à chaque pas. Nous serons au camp ce soir. Tard. Mais il nous faut avancer d’un bon pas. Maman l’a dit. Papa se tait. Il n’ouvre la bouche que de temps en temps, nous encourage, nous et Tiny. « Yep ! Yep ! Allez Tiny. » Il le siffle avec cette manière unique de passer ses doigts contre les lèvres. Les miennes sont sèches. J’ai bu une gorgée tout à l’heure et il me faut maintenant attendre encore. Mes pieds sont durs, secs. Et brulants. Je me traine plus que je ne marche. Merde alors, je n’ai que 12 ans ! Ils m’entraînent dans leur problème mais je n’y suis pour rien. Pourquoi avoir encore changé de campement et se mettre à la recherche d’un autre ? L’ancien était devenu dangereux c’est vrai. Et bondé. Mais nous y avions notre place. Pas un mot d’explication de mon père là dessus, bien sûr. Avec lui, c’est toujours comme ça. Et quand il a décidé quelque chose, rien ne l’arrête.

Tiny grogne de temps en temps. Il est impressionnant quand c’est comme ça. Même à moi, qui le connais depuis toujours, il flanquerait la pétoche ! Est-ce la dernière nuit au camp, quand il a hurlé à la mort, qui les a décidé à partir ?

Nous ne sommes pas seuls sur la route. D’autres familles, des femmes parfois, beaucoup d’hommes aussi, trainent avec nous. Mais nous ne parlons guère. On s’économise. Et le souffle, et la salive. J’ai les jambes en compote, la tête qui tourne. Pas question pourtant de faire une pause. La dernière fois que j’ai demandé, je me suis faite accueillir. «  On ne peut pas Angela, on perdrait trop de temps » m’a répondu sèchement mon père. Ma mère, elle, se taisait. Ah ça, elle sait bien faire, s’écraser ! Une vraie chiffe molle, une mauviette, oui ! Je fais pareil du coup. Mais je suis plus jeune, et je suis sa fille. J’ai mes excuses. Ça m’emmerde, mais c’est comme ça. Il faut bien l’avouer, dans cette famille tout le monde obéit au doigt et à l’œil au paternel. Personne n’ose broncher quand il l’ouvre. On n’en pense pas moins, certes, mais on s’écrase. Pas étonnant que Papa tienne tant à son chien. Côté obéissance, avec lui, on est servi. C’est de la dévotion à ce stade là.  Papa n’y tient peut-être pas autant qu’à son cher flingue, c’est vrai. Mais côté « arme de persuasion », Tiny est quand même pas mal. Il en impose le molosse ! 

Le danger nous guette de tous côtés. C’est encore Papa qui le dit. Et je veux bien le croire. Même dans le groupe dans lequel nous nous trouvons, certains regards trahissent de l’animosité. Une sorte de tension permanente nous enveloppe et nous avançons vite, les sens aux aguets. On ne sait jamais ce qui peut arriver. L’autre fois, tiens, une bagarre a éclaté dans le camp, une nouvelle fois. On n’a pas retrouvé le plus vieux des hommes après. Papa n’a rien dit de plus là-dessus. Mais je crois que c’est pour ça aussi qu’on change sans arrêt de camps. Pour ne pas créer d’habitudes et laisser d’indices. Sur nous-mêmes. Pas possible de faire confiance. A qui que ce soit m’a expliqué mon père. Tiny nous porte secours aussi. Il veille sur nous en quelque sorte.

Ça y est, on approche. Il est temps. Je suis éreintée. Il va encore falloir jouer des coudes. Aller pleurer auprès des responsables du campement, s’il y en a, ou s’imposer. Comme mon père sait le faire. C’est qu’il est grand et costaud. Le genre de personne que tu n’as pas envie de contredire ou d’embêter. Au mieux, on aura une couche abritée sous une toile. Au pire, on est habitué. Et les nuits étoilées sont ma consolation. Maman part avec Papa à la recherche de quoi manger. Ils me laissent comme d’habitude avec Tiny. Oh, je ne m’inquiète pas, même si cette fois ça dure un peu plus longtemps. Tant que je reste près de lui, je ne crains rien. Et puis, ils seront vite fixés : soit il y a un peu à manger, soit on s’en passe. J’ai faim quand même ! Depuis hier soir, rien avalé. Ce soir, on a du bol. Un peu d’un mélange fade mais qui tiens au ventre et de l’eau. Le chien va chasser. Dans les environs, désertiques et arides, souvent calcinés, il arrive parfois à se trouver un rongeur ou une racine. Tiny est plus maigre qu’avant. Ça m’a frappé l’autre fois. C’est sûr qu’il est comme nous, il souffre aussi de la faim. Je dors avec lui en général. Quand j’arrive enfin à fermer l’œil. Et qu’il ne bouge pas trop. Parfois on joue un peu ensemble, oh, pas longtemps. Rien ne s’y prête ! Mais il demeure un quelque chose du jeune chien qu’il était. Il tient à moi, ça j’en suis certaine. Dès qu’on m’approche d’un peu trop près, quelqu’un d’étranger je veux dire, il se met en alerte. Retrousse les babines d’un air vraiment pas engageant et hérisse le poil. Je reste ainsi souvent seule. Les rares fois où je m’éloigne de lui, ou lui de moi, c’est quand papa le prend à part pour poursuivre son entraînement. Je ne sais pas trop en quoi ça consiste, mais Tiny revient toujours hyper agressif après ça. Comme remonté à bloc ! Comme s’il avait besoin de ça… Mais, oui, selon mon père. Il n’a pas tout à fait tort, dans le sens où les autres ne nous embêtent pas vraiment. Ils semblent se tenir à bonne distance. Du chien, de mon père. Et de son flingue. Même pas besoin d’en faire usage. Il lui suffit de l’arborer fièrement et visiblement et les distances s’opèrent.

 

J’ai somnolé je crois. Il fait nuit noire quasiment. Quelques lueurs par-ci par-là. Des rares personnes qui ne dorment pas et qui ont des portables. Je me demande pourquoi elles s’en servent. C’est qu’elles ont encore des proches à rassurer peut-être ?

J’ai froid cette fois. Les écarts de températures sont crevants, vraiment. La journée, on étouffe, limite proche de la suffocation. Sans air et une atmosphère lourde. La nuit, c’est l’inverse. Un froid nous tombe dessus et rafraichit vite la terre jusqu’ici chargée de chaleur. Du temps où nous habitions encore chez nous, là bas dans l’ouest, en Californie, je regardais toujours le bulletin de météo. Ça m’amusait de voir ces femmes, toujours coquettes et sexy, nous annoncer les aléas du climat. Jusqu’au jour où il nous fallut partir. Expulsés par Dame Nature en somme ! Nous avons eu de la chance dans notre malheur. Et l’incendie n’a fait « que des dégâts matériels ». Tu parles, Charles ! On est resté sans rien, comme des cons, et il n’y avait pas que nous dans le pétrin. A notre tour d’être réfugiés climatiques. Qui l’eût cru ? Alors depuis, on marche. Vers quel Eldorado ? Je n’en sais trop rien. Maman a de la famille dans l’Idaho. Ils seront prêts à nous accueillir, je l’espère. Encore faut-il y parvenir.

Les hyènes, échappées de plusieurs zoos ont proliféré. On doit s’en méfier. Comme de tout le reste d’ailleurs. Il faut bien qu’on avance. L’Idaho n’est pas tout près. Il paraît que là haut, on pourra être hébergé plus dignement. Comme nous l’étions avant tout ça. Les grands cataclysmes et autres catastrophes naturelles. Moi qui avais l’habitude de les regarder à la télévision  ou sur Internet, me voilà plongée en plein cœur de l’action si je peux dire ! Mieux, ou pire, que la téléréalité…

 

C’est reparti pour une journée de marche, on n’aura encore pas fait très long dans le camp ; juste une halte. Pour un peu reprendre des forces et se reposer. Je ne suis pas certaine de tenir encore longtemps ce rythme. Je n’ai ni leur force, ni leur courage, ni leur expérience. Papa et Maman chuchotent entre eux depuis quelques temps. Comme s’ils avaient un grand secret à garder. Ça m’intrigue bien sûr, mais impossible de saisir ne serait-ce qu’un bout de phrase. Ils m’éloignent, me demandent d’avancer un peu plus loin avec Tiny. Même au chien cette attitude paraît bizarre. C’est presque drôle : il avance avec moi mais paraît encore plus sur ses gardes, se retourne sans arrêt, inquiet, vers mes parents. Mon père lui fait alors de grands gestes, hostiles : « Ouste ! ouste ! », et le chien émet alors un très léger gémissement. C’est papa qui l’a recueilli, tout jeune, dans un refuge. Tiny a très vite fait partie intégrante de la famille : il était avec nous de toutes les sorties, les nombreux déplacements qu’on a pu faire, par le passé. Comme ça me paraît loin désormais… Et ce périple, cette migration forcée semble être l’ultime voyage pour moi. Je perds espoir. Qu’allons nous faire, une fois arrivés chez ma tante ?

 

Papa s’arrête soudain. Signe que nous devons en faire de même. Je ne comprends guère mais il a sans doute ses raisons. Comme souvent, j’obéis. Pas le choix de toutes façons : je ne vais pas poursuivre ma route avec des inconnus et aller je ne sais où. Les autres réfugiés s’éloignent petit à petit, et nous finissons par rester seuls, dans cette immensité aride. Tous les quatre. Fait assez inhabituel pour être souligné, ma mère m’entraine avec elle, loin de mon père et de Tiny. Cela m’intrigue mais je me dis qu’elle a des choses à me dire, des trucs de filles peut-être ? C’est vrai, avant que tout ça n’arrive, nous avions l’habitude d’avoir des petites conversations, sur le mode de la confidence. J’aimais assez cela. Va–t-elle renouer avec cet usage, même si cela serait un peu incongru vue la situation ? Elle reste pourtant étrangement silencieuse, comme préoccupée. Et sursaute à peine au son puissant d’une détonation, toute proche. Alertée, j’essaye de la faire sortir de sa drôle de torpeur, mais elle m’apaise d’un léger sourire triste. Puis nous retombons dans un silence lourd. Et la journée s’écoule ainsi, sans que j’en sache plus. C’est à la nuit tombée que maman se décide à bouger. Doucement, elle se lève et me fait signe de la suivre.

Nous retrouvons mon père. Seul. Assis devant un feu de camp, il nous invite à manger. Un repas chaud, fait rarissime. Tandis que je goûte du bout des lèvres au plat énigmatique, je m’interroge sur l’absence remarquable de Tiny. Et une question émerge alors: qui me protégera de leur appétit vorace ?

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